Paroles de gangs

Article : Paroles de gangs
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25 septembre 2017

Paroles de gangs

Zaco, carrefour Cosa, dans la périphérie du quartier Cosa en haute banlieue de Conakry. Je passe dans le coin parfois, en revenant de chez ma coqueluche. Là, à longueur de journée et même la nuit, de part et d’autre des rails, des jeunes gens s’asseyent pour fumer du « bab », communément appelé chanvre indien. J’ai souvent eu envie de m’adresser à un ancien camarade du collège, mais j’évite. Ce soir-là, donc, je décide de m’approcher à lui tout en me présentant. Chose faite enfin et accès ouvert. Tout comme au collège, je décide en tant qu’ancien camarade de classe de lui poser la question de savoir si je pourrais avoir un échange avec lui et ses potes. J’obtiens le feu vert, mais à condition que se ne soit pas de la traîtrise (espionnage).

Bob est la première personne à bien vouloir m’accorder quelques instants. « Je suis un diplômé en quête d’emploi, dit-il, et je suis Thug. Je viens ici fumer de la ganja pour effacer un certain nombre de soucis dans mon crâne. Je suis parfois stressé et, quand je me souviens de certaines réalités, notamment celle politico-économique de mon pays, je n’ai pas d’espoir. Quand je me souviens des moments de mon enfance, des soutiens de la part des parents, je n’arrête de me révolter contre les dirigeants incapables et corrompus. Mes parents ne m’ont jamais vus en train de fumer ou boire de la bière. »

Je me demande comment c’est possible, surtout au niveau des horaires. « Je reste ici exposé à la nature jusqu’au moment voulu, poursuit-il. Pour des raisons de sécurité, nous sommes en contact avec certains hommes en uniforme, car ils viennent aussi fumer avec nous. Sinon, au niveau sanitaire, je n’ai pas de crainte parce que ça me permet d’éviter certaines maladies graves comme le cancer, par exemple, comme l’a d’ailleurs chanté le reggae-man Takana Zion dans son morceau « Yèhè kha tamy » (le pain du mouton). »

Je reste un peu abasourdi par cette réponse. J’imagine un peu ce que je vois en face, des jeunes dont l’âge varie entre 17 et 35 ans, voire plus, qui restent toute la journée en train de saurer sous le soleil accablant, et qui généralement n’ont pas de métiers lucratifs pour satisfaire leurs besoins primaires ou secondaires. Souvent, on rencontre des diplômés parmi eux. Dans la vie, on voit tout hein !

Zion, quant à lui, est étudiant dans une université privée de la place. Il dit être conscient du fait d’être stigmatisé par ses deux sœurs qui sont au courant de son vice, mais il est habitué à ça. Seulement, il évite que sa mère déjà bien âgée soit au courant. « C’est pratiquement une source de revenus pour moi, me confie-t-il. Je vends de la marijuana pour subvenir à mes besoins personnels. Je suis connu par pas mal de personnes qui viennent aussi acheter en privé avec moi, y compris certains membres des forces de sécurité. Pour moi, je suis vendeur, un point c’est tout. Je pourrais bien arrêter quand je trouve un boulot qui procure de l’argent et qui me permet de satisfaire à mes besoins et aux besoins de la famille, car je suis conscient que j’ai maintenant l’âge de fonder mon propre foyer. » Je lui demande s’il n’a pas peur de tomber sur un agent violent. Et là, dans un sourire, il me rassure qu’il n’y a rien à craindre parce que lui-même négocie certains problèmes pour libérer ses petits emprisonnés pour la cause.

Bigger est également là avec ses armes blanches. Mais il est plus jeune que les autres. D’ailleurs, il est toujours au lycée. Il vit chez son oncle paternel qui se fiche de toute sorte de vice, en ce sens qu’étant ivre, il n’y a pour lui rien de tabou. Pour pouvoir satisfaire à ses besoins sans se livrer au vol, Bigger a donc décidé de se lancer à ce genre d’activité commerciale qu’on appelle ici, « yembè gnakhi ma tii», littéralement vendeur de mauvaise fumée en langue soussou. Ce qui lui permet d’assurer certaines dépenses en famille. Il a un grand dans la police qui le protège en cas de malheurs.

Si je comprends bien, tout ça est au vu et au su de tout le monde, y compris des autorités. En Guinée, la consommation de stupéfiants est prohibée. Ce qui oblige à bosser dans la clandestinité pour certains, et d’autres sont protégés par les forces de sécurité. Tout cela n’est pas digne d’une nation en voie de développement, malgré un chômage assez galopant où plus la moitié de la population est jeune avec une administration vieillissante au sein de laquelle parler de retraite est un mystère.

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