Une odyssée de noctambules à Kamsar, en Guinée

Article : Une odyssée de noctambules à Kamsar, en Guinée
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24 octobre 2017

Une odyssée de noctambules à Kamsar, en Guinée

Les jours se succèdent mais ne ressemblent pas, c’est le moins que l’on puisse dire. Après un long moment de patience dans la capitale, je devais pour la première fois fouler le sol de la sous-préfecture de Kamsar, située à une trois-centaine de kilomètres de Conakry, au sud-ouest de la préfecture minière de Boké. Il fallait donc de la patience pour traverser les tornades qui faisaient leur belle époque et surtout affronter ce qui se camouflait devant. Mais pour quelqu’un qui ignore toute réalité autochtone, ce n’est qu’un début épisodique.

Après avoir reçu l’information depuis le point de départ, notamment sur la situation calme qui prévaut sur le plateau minier du  pays, nous (mon oncle et moi) avons décidé de bouger pour parcourir le trajet et rejoindre la splendide cité de la compagnie qui redonne le fils de la localité le nom de se venter en dissimulant sa souffrance devant ses amis des autres régions du pays.

Suite à cet élancé de chemin, nous voilà arrivés à Kolaboui, le poumon économique de la préfecture de Boké et qui débouche désormais à notre destination. Là aussi, il est nécessaire de s’enquérir de la réalité du terrain avant de poursuivre notre voyage. Il faut s’attendre à des imprévus, comme il est de coutume dans tout le pays. Et c’est sans doute ce qui se prépare mais que personne ne pouvait imaginer. Après juste une vingtaine de kilomètres, nous voici à Madina Borboff, une contrée située en haute banlieue de Kobé. C’est de là que mon oncle reçoit un coup de fil lui l’enjoignant d’être prudent car des jeunes seraient en train de se préparer pour ressortir dans la rue.

Face à des indigènes majoritairement analphabètes qui veulent manifester leur colère contre le délestage du courant électrique en érigeant des barricades partout, comment se sauver la tête à une heure indue de la nuit ? C’était le souci de toute personne qui est tombée dans ce genre d’embuscade.

Tout à coup, un contingent de voitures administratives stationne avec une délégation du gouvernorat de la ville de Conakry, sans son mentor car ayant échoué auparavant, le natif de la région de Boké n’a pas désormais voulu le déshonneur. Et cette représentation a en tête le directeur des finances pour une résolution des problèmes sociaux qui y règnent depuis belle lurette. Sa présence a donc suscité autant d’espoir pour les automobilistes garés tout au long de la route pour guetter un éventuel calme.

Juste après un beau moment, on a sommé à tout le monde de faire un convoi et suivre le conseil à la lettre. Il s’agissait en réalité de mettre des négociateurs devant le fil pour faire face aux jeunes manifestants et procéder à des négociations. Au cas échéant, trois bérets rouges qui composaient l’équipe des gardes du corps du groupe de facilitation font des tirs de sommations afin de disperser les gens et libérer le passage. Mais connaissant un peu comment les manifs se passent à Conakry, j’avais un pessimisme profond. Cependant, la force revient à l’Etat et il méritait de rester derrière les autorités du pays pour suivre leur mot d’ordre. Il faut ainsi rouler au rythme des chefs de la ficelle (médiateurs et piétons), puis les VA, avec une marge de sécurité. De pas de caméléon en pas de caméléon, nous arrivons à l’épisode de Kainguissa, localité qui succède Madina borboff.

Malgré tout, ça a été la mauvaise décision prise car les forces de sécurité en place n’avaient pas été contactées auparavant pour renforcer ceux qui étaient sur le terrain au cas où ça arriverait à tourner mal.

Une autre aventure commence !

La première zone que j’ai eu à retenir très rapidement est sans doute celle de Kainguissa où tout me ressemblait à l’axe (Hamdallaye, Bambéto, Cosa…) que j’ai connu. Une localité où les jeunes sont plus motivés et très expérimentés pour mener à bien leur manifestation face aux forces de l’ordre sur le champ. Une nuit assez ténébreuse parce que l’on ne pouvait pas différencier les gens et étant dans cette situation, seules les phares des véhicules pouvaient diriger tout le monde.

Les négociations n’ont pu apaiser les tensions et les bérets rouges de compagnon étaient obligés d’ouvrir les coups de feu de sommation dont ils ont déjà reçu l’ordre d’obtempérer. Il n’y a pas que des combattants tactiques en uniforme, il ya aussi des âmes bien nées. Pas besoins forcément de tenir une kalachnikov pour affronter mais de donner des initiatives pour empêcher leurs adversaires.

Désormais c’est ‘’chacun pour soi, Dieu pour tous’’. Le chef protège sa tête et le citoyen lambda aussi. Entre des personnes autochtones qui s’y connaissent mieux et des étranges figures, c’est tout simplement, n’oublie pas de me rendre mon petit bonnet au cas où tu aurais eu à le ramasser par hasard. Car des cailloux tombaient partout comme s’ils venaient du ciel contre un peuple qui a la colère divine et qu’il fallait châtier. La solution serait-elle de foncer ou de renoncer ? La moindre idée que l’on puisse au moins emprunter était de prendre le risque d’avancer pour chercher où abriter. Des personnes blessées, des caillasses de pare-brises, de feu-rouges, de vitres… des dégâts très énormes mais la vie humaine est la plus chère. Ne dit-on pas que qui ne risque rien n’a rien ? Aucun individu ne pouvait se réjouir de ce qui venait de se passer mais avec les vies sauves, il y a désormais où soulever les sourcils.

A Hamdallaye où tout rescapé avait trouvé refuge dans une cour hermétiquement fermée d’une entreprise sur place, chacun avait désormais le droit de respirer selon son gout dans une salle pléthorique et climatisée avec des responsables de la nation. Mais la fraternité et l’hospitalité avec la direction locale est encore éphémère. Un renfort de la dernière minute provenant de Boké investit les lieux pour écouter et exécuter l’ordre du chef de mission. Faut-il rester à Kamsar où aller à la préfecture ? C’est la dernière version que tout le monde attend désormais. Un verdict qui n’a pas tardé à tomber.

Instantanément déterminé, les vingt pick-up garés à la devanture avaient pour mission d’escorter et de cortéger la délégation gouvernementale avant que les manifestants n’aient d’autres méthodes pour réagir. La décision n’arrangeant pas la majeure partie des personnes y présentes pour des raisons parfois économiques (carburants ou autres), chacun est libre de choisir sa voie et ce fut mon cas.

Un épisode de parcours de combattants !

Il fait encore tard la nuit (00h passée) et on doit, mon oncle moi rentrer pour passer la nuit à domicile et surtout sans véhicule. Eviter la route principale qui décachète les 13 kilomètres de la cité pour un besoin de sécurité était la meilleure option. Le mieux est alors d’emprunter les routes dans les villages mais pour quelqu’un qui s’y connait mieux. ‘A défaut de la mère on se contente de la grand-mère’’.

D’abord, il faut traverser le goudron, ensuite les rails et enfin la corniche bombée qui sont tous parallèles pour arriver à notre objectif. Seuls inconnus, nous n’avions qu’une torche que nous avait passée une relation de mon oncle. L’histoire ne donne t-elle pas raison au romantisme qui décerne une logique à la lumière (jour) qu’à l’obscurité (nuit) ? Un moment où les impératifs de visibilité ou de transparence sont sans doute inexistants. C’est de là que les strophes de poèmes du célère poète français du 19 ème siècle, Victor Hugo me hantaient le cerveau «Seul inconnu, je ne regarderai ni lors du soir qui tombe, ni les voiles au loin descendant vers Harfleur. » Et  la cité de Kamsar pouvait bien ressembler pour moi par illusion à celle de Harfleur.

Désormais, c’est vivre sans témoin pour affronter toutes les péripéties et les inégalités sociales d’une couche noctambule qui se sent en colère et qui veut coute que coute régler ses tares dans le dos de tout citoyen qu’elle n’apparente pas d’une part, et d’autre part être exposé à des malfrats drogués qui profitent de la situation pour cambrioler les gens.

Une période pendant laquelle il fallait tout faire pour ne pas être reconnu par n’importe qui afin de se protéger. Alors la meilleure réussite, c’est d’aller chercher plus de marges, d’excentricité et sans doute d’obscurité dans la bizarrerie. Un moment au cours duquel l’anarchie joue son plein parce que chacun peut se rendre justice sans aucune intervention des forces de sécurité. Un allogène comme moi avait toutes les difficultés mais aussi la peine à s’en sortir. Malgré tout, j’avais une expérience en matière d’argots de la vie des « thugs life ou gangs », et mon oncle qui avait la connaissance de la localité détenait le seul monopole pour nous diriger vers notre destination. A chaque rencontre avec un inconnu, je lui parlais dans un jargon pour lui tromper l’apparence « Tiké nana » ? Comme pour désigner la présence des militaires (ex compagnons), « m’ma deguema bara bira goudronma » mon arme blanche est tombée au goudron…

Un parcours assez long et un itinéraire plein de risque et d’intempéries de la nature dans une situation tendue avec les possibilités de traverser les mauvais sorts des habitants décentrés. La raison revient par endroit au droit romain qui stipule que le juge ne peut recevoir de témoignage entre le coucher et le lever du soleil, justement parce que l’on voit si mal que rien n’est fiable . Seulement pendant les périodes d’état d’urgence que le temps de la justice ne connait aucune éclipse.

De toute façon Restif de la Brétonne l’a démontré dans les Nuits de Paris, le marcheur nocturne est comparable à un « hibou », cet animal qui s’y retrouve la nuit, mais paie cette acuité d’une totale impuissance le jour. C’est ce qui nous est sans doute arrivé parce qu’après plus de trois heures de mauvaises leçons subies mais aussi de toute sorte d’exposition aux intempéries dans une noirceur sans choix, l’on rentre accabler de fatigue. La journée annonce désormais mal ses couleurs mais les prières d’Ulysse ont répondu hélas !

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