Immigration : à la recherche de l’illusion du bonheur

Article : Immigration : à la recherche de l’illusion du bonheur
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22 avril 2021

Immigration : à la recherche de l’illusion du bonheur

L’immigration est de nos jours un moyen de partage, de découverte et bien d’autres. On peut se déplacer d’un point à un autre sans s’inquiéter. Cela est d’ailleurs pratiqué depuis la nuit des temps. Mais force est de reconnaître que cette pratique a pris un autre tournant pour la plupart des jeunes africains.

Désormais, diplômés d’universités, débrouillards… Les jeunes hommes et femmes restent les plus confrontés au flux migratoire. Le but principal de la majorité est d’atteindre le continent européen, sans pour autant débourser trop d’économies. Et la plupart des jeunes ne mesure pas l’ampleur que pourrait leur réserver cette voie.

Ils ont parfois en tête que certains de leurs parents, qui sont ailleurs, ont eu à réaliser au bercail mais n’ont jamais cherché à savoir par quelle « manière ». C’est sans doute cette ambiguïté qui a poussé Koto Diallo, âgé de la trentaine, exerçant le commerce à Madina, centre de business en plein cœur de Conakry, en république de Guinée, à prendre le risque.

Marié à deux femmes et père d’enfants, Monsieur Diallo, pour ne pas nommer son nom entre ces lignes sans son consentement, détenait une boutique cosmétique au centre ENIPRA. Ici, il achète auprès des importateurs de grosses quantités de marchandises pour aller vendre en gros aux détaillants. Avec sans doute des concurrents. Malgré tout, il réussit à attirer de la clientèle pour gagner ce que Dieu lui réserve.

J’admets que j’aimais le fréquenter. Étant analphabète, il a vite quitté le toit de ses parents pour aller à la recherche du bonheur. Il faut admettre, au passage, qu’il avait le sens de l’humour. Parfois, comme il aimait à me dire : « viens travailler pour moi, avant que tu ne sois ministre ». Il aimait chahuter pour que j’aille parfois l’aider à faire des calculs et des livraisons, lorsqu’il était envahi par des clients.
Je le faisais parfois, tout en lui disant de chercher un comptable, dans un sentiment d’humour aussi.

Mais à un moment donné, le temps ne me permettait plus d’aller à son chevet. Car étant un jeune étudiant, j’ai décidé de me concentrer à mes études. Pour moi, même s’il faudra embarrasser le commerce un jour par hasard, le plus important, c’est d’abord mon diplôme. Après tant d’années sur le banc, il faut atteindre l’objectif.

Et j’avoue que les affaires de Madina allaient bon samaritain, à l’époque. Et ce n’était pas facile de renoncer à ça. Cependant, je n’avais vraiment pas le choix. Qui que tu sois, lorsque tu rentres dans ce poumon économique du pays, tu deviens automatiquement élève. Parce qu’il faut savoir manier un certain jargon pour s’imposer.

Exemple, pour désigner la devise étrangère comme le dollar américain, ils (commerçants) préfèrent nommer la couleur noir en langue nationale. Ceci en est un, comme d’ailleurs tant d’autres illustrations.
Et mon grand Diallo, comme je l’appelais affectueusement, s’est vite acclimaté du milieu. Il a su se créer des relations à travers son entourage, ses patrons et ses clients. Mais l’envie lui a induit à emprunter un autre sentier.

En ce début de l’année 2013, pendant que la Guinée traversait une série de manifestations dues à des crises politiques, Koto Diallo décide de vider sa boutique pour prendre le chemin de l’Europe, via la voie la moins coûteuse en économie, mais la plus chère en vie humaine. Désormais, il n’a qu’une seule ambition, entrer en Occident.

L’objectif visé dans un premier temps était de traverser le plus vite possible la mer. Mais la vie a des réalités que l’être humain a toujours ignoré. Et c’est sans doute les péripéties de la nature qui lui prouvent cette réalité.
Quelques années après notre connaissance, soit en 2016, j’étais par hasard passé à Madina pour m’acheter une paire de chaussure. Je me suis mis à marcher dans une gare routière, sis à la SIG. Mon œil tombe sur un homme barbu, vêtu d’un boubou à la marocaine.

Sans prêter beaucoup d’attention, je le salue et demande : « Monsieur, est-ce qu’il y a une sortie, par-là ? ». « Oui », me répondit-il, tout en observant un silence suivi d’une oreille attentive.

« – Merci », lui dis-je.

« – Tu ne m’as pas reconnu, ou quoi ? », continue-t-il, juste après que j’ai avancé de quelques pas.

« Ça doit être une vieille connaissance », je pense.

« – Pardonnez-moi, Monsieur. Je suis un peu déboussolé. C’est pourquoi je n’ai pas pris le temps de vous fixer longtemps. »

« – Ok, je comprends. C’est Diallo, ENIPRA ! »

« – Waw ! Je ne t’ai pas reconnu, en toute franchise. Surtout avec ta barbe qui couvre la quasi-totalité de ton visage. J’ai toujours demandé après toi, à chaque fois que j’y vais. Mais on m’a toujours fait savoir que tu n’étais pas là, et pas plus. »


Mon grand commence à raconter son histoire, assez pathétique :


« Mon ami, l’ambition démesurée peut nous induire dans une catastrophe incalculable. Dieu seul peut connaître les personnes de bonne foi ou celles de mauvaise foi. Après que tu sois parti d’ici en 2013, comme tu le savais déjà, je gagnais de l’argent, petit à petit… Des gens ne cessaient de magnifier ma chance à la recherche du fric.

Un jour, un gars est venu me proposer un voyage à un prix dérisoire, pour m’aider à aller en Europe. Sa proposition m’a finalement convaincu. Et je l’ai accueilli à bras ouverts pour tenter ma chance. J’ai vidé ma marchandise pour m’engager. Mais cela a failli me coûter la vie.

Il m’a convaincu qu’au lieu de débourser 7 000 euros, qu’il pouvait me mettre en contact avec quelqu’un qui pouvait le faire à seulement 4 000 euros. Mais en passant soit par la Méditerranée, soit par la voie terrestre. Vu les crises sociopolitiques, j’ai amené ma famille auprès de mes parents, au village, puis j’ai définitivement rendu les clés de ma boutique pour aller à la recherche de l’argent dans un monde plein de piège. »


Après cet aveu d’échec, Koto Diallo enchaîne : « Je suis rentré sans rien apporter. Dieu merci, je me suis arrêté sur mes deux pieds. Mais franchement, je ne pense pas pouvoir rester ici, à Conakry. Je n’ai pas de concession et le marché que j’ai trouvé est totalement différent de celui d’avant. »

Il poursuit alors : « Imagines, lorsque tu fais un prêt auprès de tes anciens patrons, si tu n’as pas un fond propre dans tout ça, tu seras obligé de manger de l’argent qui ne t’appartient pas. Je n’ai pas le choix ! »

Ce témoignage me brise le cœur. Plus loin, il dit n’être plus en contact avec l’homme qui l’a désorienté.


Dans mon âme, je ressemble moi-même à un égaré qui cherche à s’isoler afin d’être situé. Quelques mois après cette conversation, je tente son numéro de téléphone pour lui passer mes salutations et aussi m’enquérir de ses nouvelles. Grand Diallo me fait savoir qu’il est retourné à la case de départ, avec sa petite famille. Hélas… !

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